Chaque année, la France perd en moyenne l’équivalent d’un département de terres agricoles au profit d’espaces urbanisés, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique. Malgré l’existence de lois visant à protéger le foncier rural, l’expansion des villes se poursuit, portée par la croissance démographique et la demande en logements.
Cette tendance ne se limite pas à l’Hexagone : l’artificialisation progresse à l’échelle mondiale, posant des défis inédits pour la sécurité alimentaire, la biodiversité et la gestion des ressources naturelles. Les leviers d’action existent, mais peinent à freiner le phénomène.
L’étalement urbain : comment en est-on arrivé là ?
L’étalement urbain n’est pas un accident de parcours, mais le fruit d’un enchaînement de choix et de besoins. Depuis plusieurs décennies, il redessine les contours des villes françaises. L’Insee note une progression continue des espaces périurbains : ces territoires où règne la maison individuelle, grignotant discrètement les terres agricoles qui entourent les agglomérations. Plusieurs ressorts s’additionnent : la croissance démographique tire la demande de logements vers le haut, tandis que la recherche d’un cadre de vie plus calme repousse sans cesse les nouvelles constructions vers l’extérieur.
Les mutations sociales et culturelles accentuent cette dynamique. Le rêve de la propriété, souvent matérialisé par le pavillon avec jardin, s’est imposé. Mais les politiques publiques, parfois hésitantes sur la planification urbaine et la densification, ont laissé la porte ouverte à l’étalement, multipliant les zones d’extension urbaine. Les documents d’urbanisme censés accompagner ce développement n’ont pas toujours tenu bon : lotissements dispersés, routes nouvelles, habitat épars, tout concourt à une ville qui s’étend plus qu’elle ne se structure.
Le réseau routier se densifie pour desservir ces nouveaux quartiers, rendant la voiture incontournable. Dans certains secteurs, la pression sur le marché du logement, couplée à la croissance économique, accélère encore cette dynamique. Les villes s’étalent, les terres agricoles reculent. L’étalement répond à une logique d’expansion, bien plus qu’à une vision collective du territoire.
Pourquoi les terres agricoles sont-elles les premières victimes ?
Le foncier agricole subit une pression constante, trop souvent ignorée. L’urbanisation diffuse cible en priorité ces terrains, accessibles et moins chers que ceux déjà urbanisés. À la périphérie des villes, les zones périurbaines concentrent ce phénomène. Là, le mitage agricole s’accélère : parcelles entamées, exploitations coupées en morceaux, paysages ruraux transformés.
Ce n’est jamais un choix anodin. Les documents de planification urbaine, plans locaux d’urbanisme, schémas de cohérence territoriale, peinent à protéger durablement les espaces naturels et agricoles face à la pression de la construction. Même renforcé par les lois agricoles et environnementales, le cadre légal se heurte à l’appétit pour le béton. Chaque année, la France perd environ 20 000 hectares de terres agricoles, l’équivalent d’un département tous les dix ans.
La production alimentaire s’en trouve menacée. Cette réduction des surfaces cultivables affaiblit la capacité des territoires à produire localement, alors que la concurrence internationale fait rage. La disparition progressive des espaces naturels et agricoles n’est pas seulement une affaire de paysage : c’est une interrogation sur la manière dont nous concevons l’aménagement du territoire, la place accordée à l’agriculture, la valeur que nous attribuons collectivement à la terre qui nous nourrit.
Des conséquences bien réelles sur l’environnement, l’alimentation et la société
L’étalement urbain recompose le territoire, mais aussi les équilibres naturels. À mesure que les espaces naturels disparaissent autour des métropoles, la biodiversité s’effondre. Les corridors écologiques se fragmentent, coupant la faune et la flore de leurs habitats. Moins d’espaces verts, moins d’espaces agricoles naturels : les territoires absorbent moins de carbone, ce qui aggrave les émissions de gaz à effet de serre.
La vie quotidienne s’en ressent. À la périphérie des villes, les distances domicile-travail s’allongent. La dépendance à l’automobile explose. Les transports en commun peinent à suivre l’expansion, ce qui multiplie la pollution de l’air et congestionne les routes. Bruit, embouteillages, rupture avec la nature : la qualité de vie s’en trouve altérée.
Le volet alimentaire est tout aussi préoccupant. La perte d’autonomie des territoires s’accélère. La France importe davantage de produits agricoles, alors que ses terres agricoles reculent. Cette dépendance aux marchés mondiaux expose le pays à une volatilité accrue et fragilise la transition écologique. Les réponses émergent : l’agriculture urbaine ou la protection des espaces naturels agricoles progressent, mais restent marginales face à la pression immobilière.
Quelles solutions concrètes pour préserver nos terres et encourager l’agriculture urbaine ?
Face à l’artificialisation accélérée des sols, des pistes d’action se dessinent à différents niveaux. La loi climat et résilience fixe un objectif zéro artificialisation nette (ZAN) pour 2050. Ce cap oblige les collectivités à revoir leur planification urbaine, à limiter l’extension des zones pavillonnaires et à miser sur la densification urbaine plutôt que sur l’étalement.
Parmi les leviers, la transformation des friches industrielles ou commerciales prend de l’ampleur. Ces espaces délaissés offrent de nouvelles opportunités d’habitat sans sacrifier les espaces naturels agricoles. Des écoquartiers émergent, intégrant végétalisation et agriculture urbaine dans la ville. À Paris, Lyon, Nantes, les toits deviennent maraîchers, les jardins partagés et micro-fermes redonnent à la ville une fonction nourricière.
Voici quelques leviers concrets déjà mis en œuvre ou à renforcer :
- Elaboration de documents d’urbanisme plus ambitieux, qui protègent le foncier agricole tout en encourageant l’innovation dans l’usage du bâti.
- Participation citoyenne renforcée dans les choix d’aménagement : la concertation locale façonne des solutions adaptées, notamment dans les zones où la pression foncière est forte.
- Mobilisation des dispositifs du plan France relance, qui privilégie la reconversion de friches et soutient l’agriculture périurbaine pour renforcer la résilience alimentaire.
Le développement durable impose une nouvelle manière de penser la ville, où la croissance ne se fait pas au détriment des terres agricoles. Plusieurs collectivités s’inspirent des exemples venus du Luxembourg ou des analyses de France Stratégie pour concilier densité, sobriété foncière et qualité de vie. L’innovation technologique et une volonté politique affirmée ouvrent la voie à des scénarios plus sobres en espace, plus favorables à la transition écologique.
Demain, la ville pourrait redevenir fertile, si nous choisissons collectivement de valoriser chaque hectare préservé et chaque projet qui réinvente le lien entre l’urbain et l’agricole. Rien n’oblige à céder du terrain à l’indifférence.


